États d'âme États-Unis Travel Geek

Tourner les pages de mon passeport

7 novembre 2016

J’arrive bientôt à l’expiration de mon passeport, mon tout premier passeport, celui que j’ai fait faire avant de m’envoler pour la première fois à Montréal.


Ma vie de voyageuse

Je ne pensais pas que ce voyage allait changer ma vie à ce point, et l’orienter à ce point. Je n’en attendais pas grand chose : j’avais hâte de découvrir un nouveau continent, c’est sûr, mais je n’avais pas la hâte que je peux avoir aujourd’hui avant de traverser l’Atlantique. J’étais un peu curieuse de retrouver les lieux qui avaient pétris mes songes d’enfant : Montréal, le Maine, San Francisco et le pays des canyons. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, et je ne pensais sûrement pas avoir le coup de foudre que j’ai eu.
Aujourd’hui, ma vie entière ne tourne pas autour de mon amour pour l’Amérique du Nord, bien sûr. Je voyage toujours autant en France et dans ma région, et je pense avoir une vie quotidienne épanouie. Tous mes regards ne sont pas tournés là-bas. Les États-Unis prennent tout de même une grande place dans ma vie. Dans ma vie de voyageuse, bien sûr, mais aussi dans ma vie de lectrice ou plus généralement, dans ma vie culturelle. J’aime autant ce pays que je le déteste, et je crois que cette relation ambivalente me poursuivra toujours.

Et puis, mon passeport

Et puis, mon passeport. Il est bientôt temps de le renouveler, de repartir pour un autre CDD de 10 ans. Je n’ai pas, contrairement à beaucoup de voyageurs, des tampons de tous les pays du monde. Et je m’en fous. Je n’en ai évidemment pas d’Europe, puisque nous avons le plaisir de ne plus être « tamponnés » en arrivant. Je n’ai que des tampons canadiens et américains. Je les connais tous, et je me souviens de tous les instants et de toutes les guérites de douaniers traversées.

passport-blog3

Finalement, à chaque veille de départ, je me dis que la seule chose qui importe vraiment, c’est ce passeport. Sur place, pendant plusieurs mois, je m’y accroche comme si ce petit bout de carton était vital, comme si le monde s’effondrait si je le perdais. J’ai souvent l’impression que c’est mon seul lien avec ma vie de sédentaire lyonnaise. J’ai même un portefeuille spécial (moche, j’en conviens) pour lui, le seul portefeuille assez grand pour qu’il puisse être à ses aises.

La nostalgie de l’encre

Dans ce passeport, j’ai mon visa américain, oui oui, celui avec le célèbre pygargue à tête blanche. J’en suis fière, de ce visa ! C’est celui qui me permet de ne plus être suspicieuse aux yeux des douaniers. C’est ce visa qui me donne l’impression que je ne suis pas si loin des États-Unis.
Dans ce passeport, j’ai aussi 25 tampons, qui marquent presque autant d’allers et retours entre le Canada et les États-Unis. Je regarde toujours avec émotion mon tampon d’Immigration Canada m’autorisant à rester 7 mois à Montréal. Je vois aussi mon tout premier tampon américain, celui qui compte le plus. Juillet 2008.
Mon premier passage de la frontière entre le Canada et les États-Unis, en direction du Maine, un État qui a bercé mon enfance grâce au grand maître local, Stephen King. Un peu perdues avec mon amie Virginie, nous sommes arrivées tant bien que mal à un poste de frontière, d’une toute petite route québécoise. Nous n’avions croisé aucune voiture. Rapidement, le douanier sort de la petite maison de bois attenante à la route. La frontière, pour ainsi dire, n’était marquée que par une barrière routière et cette fameuse guérite… A l’intérieur : un comptoir, un WC, quelques fauteuils et un distributeur de Coca. Rien d’autre. Personne d’autre.

canaan_vermont_border_station_north_viewPhoto trouvée sur Wikipedia

Aimable, et presque ravi de pouvoir converser, le douanier nous fait la causette. Je me suis tout de suite demandée à quoi devaient ressembler ses journées… Beaucoup de lecture, j’imagine.
Vient ensuite le rituel de papier vert, le fameux formulaire I-94W que je connais par cœur, à force. Puis les empreintes. Puis les photos. Cela me semblait venir d’un autre âge, moi qui n’avais plus connu les frontières européennes depuis mon enfance. Puis l’on passe, enfin. Mon premier pied posé aux Etats-Unis, qui plus est dans un État mystérieux et sombre, qui me donne l’impression d’être au bout du monde, et bien loin de mes Monts du Lyonnais. Et pourtant, tout me semble si familier. Ça y est, je suis dans le Maine, j’ai un grand sourire… Et je continuerai à avoir ce grand sourire quand nous nous perdons complètement avant de rejoindre Bar Harbor. Village après village, je côtoies enfin les images de mon enfance.

passport-blog3

Tous ces tampons, toutes ces dates, tous ces codes-frontière… Je me souviens de chacun de mes passages. Je me souviens de cette joie mêlée d’effarement de toujours retrouver les drapeaux américains qui flottent au vent. De retrouver cet accent si nasillard, de retrouver ces sourires étonnés des locaux lorsqu’ils voient que je suis une touriste. Ces odeurs si particulières… de forêts et d’épineux, dans le Maine. Cette odeur d’eau.
Je me souviens de mes propres grands sourires quand, au retour, il s’agissait de dire que je n’avais rien à déclarer (je vous rassure, je n’ai jamais trafiqué de drogue, mais plutôt du cider et du fromage). Tous ces beaux souvenirs resteront, quoiqu’il arrive à mon passeport.
Alors pourquoi est-ce que ça me fait autant de peine de me dire que ce bout de papier est bientôt retraité ? J’ai l’impression qu’une petite partie de ma vie, ces 10 dernières années, aussi belles que difficiles, se closent. Je tourne la page. J’entre bientôt dans la trentaine, et j’ouvre ainsi un autre chapitre de ma vie, que j’espère aussi beau et difficile. Je n’oublierai jamais ces petits souvenirs, ces petits tampons, ces kilomètres, ces guérites de douanier. Il est temps de tamponner de nouvelles pages vierges.

6 Comments

  • Reply
    Lucile
    7 novembre 2016 at 19:00

    Je me souviens de notre passage avec Jeremy et Anne So, on savait pas où garer la voiture comme il y avait plein de travaux, le type qui nous arrête en blaguant sur le fait de nous envoyer un hélico puis la fille du guichet qui a ri quand on lui a dit qu’on se tendait dans le Vermont pour l’usine Ben & Jerry’s.

    J’ai fait des photos des pages de mon passeport avant de le rendre.

    • Reply
      isa
      7 novembre 2016 at 19:52

      Inoubliable. Mais quels boulets ! Ce sont de si bons souvenirs :)

      PS : Je ne compte pas le rendre… hum…

  • Reply
    Zhu
    7 novembre 2016 at 20:11

    Elle est belle ta photo de visa! Je crois que je n’ai jamais vu de visa américain, en fait.

    J’aimerais bien le vivre, ce passage de frontière cool, un peu hors du temps, que tu décris avec le Maine. Passer des frontières terrestres en général est très satisfaisant. Tu ressens vraiment la liberté de circulation, la bizarrerie des frontières aussi, cette ligne qui marque là où la dernière guerre s’est arrêtée…

    J’en suis à mon 4e passeport français (… je crois? Ou 5e?) et à mon deuxième passeport canadien. Je les ai tous gardés. J’y tiens :-)

    • Reply
      isa
      8 novembre 2016 at 08:22

      Elle est un peu « poupée de ciresque » ! :-D Pour des raisons de confidentialité, je n’ai pas pu le prendre en photo en entier, mais je te le montrerai un jour :-p

      Oui, c’est exactement ça… C’est assez magique de le faire aux Etats-Unis, où tu as pourtant l’impression que tu vas trouver un car de gardes armés à chaque frontière… Et pourtant, même là-bas, ça peut être super tranquille !

      Le passeport français n’était valable que 5 ans, avant, c’est ça ? (ou alors tu mens terriblement sur ton âge !!)

  • Reply
    Patrick
    8 novembre 2016 at 17:15

    On doit le rendre le passeport non ? @Zhu
    Je me souviens de mon premier passage aux douanes US à LAX.. super impressionnant de premier abord… et finalement plutôt cool.. surtout comparé à certains contrôles en France !

    • Reply
      isa
      9 novembre 2016 at 10:41

      Patrick, on peut les garder si on fait une déclaration de vol, mais oui, normalement, tu dois le rendre pour en obtenir un nouveau :)

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