France Martinique

En Martinique : les merveilles de Saint-Pierre

22 janvier 2018

Perdue dans les nuages, la commune du Morne-Rouge marque l’embranchement entre la route de la Trace et la route descendant à Saint-Pierre. La Montagne Pelée est toujours coincée dans les nuages, si proche et pourtant encore invisible. Entre deux orages, un rayon de soleil se faufile et révèle les 100 nuances de vert de la forêt. C’est avec une énorme impatience que nous parcourons les quelques kilomètres de la N2 jusqu’au bourg de Saint-Pierre. Saint-Pierre, je l’ai tellement rêvée et fantasmée. Nous évitons quelques poulets picorant sur le bas côté de la N2. Chaque virage découvre une nouvelle vue magnifique… Et la pluie se remet à battre en rythme juste au moment où nous arrivons près du pont de la Roxelane, détruit il y a quelques mois, et dont les travaux de restauration ne sont toujours pas entamés.

Premières impressions

Voiture garée, bagages traînés sous la pluie torrentielle, appartement récupéré : nous sommes installés pour 4 jours à Saint-Pierre. Mes premières impressions de la ville sont mitigées, je ne m’y sens pas très bien. Des centaines de camions chargés de tonnes de gravier traversent la rue principale de la ville, toute la journée, et une majeure partie de la nuit. On ne s’entend pas parler et je ne me sens pas en sécurité le long de la rue (les trottoirs sont absents, et il faut slalomer entre les voitures stationnées). Les rues sont en mauvais état, les façades sont dégradées, il y a énormément de ruines. J’ai l’impression d’être dans une ville en déprise de la plaine de l’Isère : le gris prédomine. Il n’y a pas beaucoup de touristes, les habitants nous remarquent.
J’ai aussi besoin de dormir. Je ne me sens pas déçue, car je sais que Saint-Pierre se révélera, et puis, merde, j’ai beaucoup trop attendu pour la découvrir, je ne risque pas de me laisser abattre comme ça. 19h30, il est tard : je suis déjà au royaume des rêves.

Le lendemain promet une nouvelle journée mitigée, il pleut beaucoup, mais qu’importe. Nous nous promenons le long de la plage de sable noir. Notre balade est marquée par l’apparition de nombreux arcs-en-ciel. Le centre-ville est toujours aussi bruyant, mais il y a quelque chose qui se passe… Saint-Pierre est belle. Saint-Pierre est spéciale. En fait, la ville ne ressemble en rien aux anciennes villes ouvrières de l’Isère. Heure après heure, on a l’impression d’approcher son âme, mais ça n’est pas assez.
Les petits trains touristiques, ce n’est habituellement pas mon truc, je fais rarement des visites guidées classiques, d’ailleurs. Cependant, nous nous laissons convaincre très facilement d’acheter deux billets pour le Cyparis Express. Le guide, Fernand, est un Pierrotin qui connaît et aime profondément sa ville. La visite est longue, riche, et conte aussi bien le quotidien des Pierrotins avant, pendant, et après l’éruption de la Montagne Pelée que les enjeux politiques plus globaux auxquels Saint-Pierre et la Martinique ont dû faire face. Cette visite est politiquement engagée : Fernand vous parlera sans langue de bois de l’esclavage et des problèmes sociaux à Saint-Pierre aujourd’hui. Il vous parlera aussi des propriétaires békés des environs qui ne font rien pour aider au développement économique de Saint-Pierre mais qui pourtant dégradent les infrastructures communales en laissant passer des centaines de poids-lourds tous les jours. Du taux de chômage de 60 %. Des ferrys de touristes qui ne payent pas de droit d’amarrage.

Bien sûr, Fernand vous parlera aussi des « classiques » de l’Histoire pierrotine. Tout d’abord de Cyparis, bien-sûr, le prisonnier qui a survécu à l’éruption de 1902. Grâce à sa grande expérience de conteur, c’est le Saint-Pierre de la fin du 19e siècle qui se dessine sous nos yeux au cours de la visite, si facilement, n’ayant même pas besoin de faire un grand effort d’imagination.
Oui, Saint-Pierre a résolument quelque chose de spécial, d’unique et de touchant.

La montagne Pelée ne se révèle toujours pas, c’est à se demander si son existence n’est tout simplement pas un énorme complot ! Notre deuxième journée se termine paisiblement, sous les rayons du soleil, avec une balade pied-nus le long du rivage. L’eau est chaude, la lumière douce… Saint-Pierre est peut-être délabrée, mais Saint-Pierre est enchanteresse. La forêt tropicale s’arrête abruptement quand les falaises tombent dans la mer des Caraïbes, la statue de la vierge des marins veille sur la ville à la nuit tombée. Verts, noir, gris, blanc, bleu, ce sont les couleurs de Saint-Pierre.

Au réveil, ça y est, elle est là, on la voit. Si proche, si majestueuse et si menaçante. La montagne Pelée a rasé, brûlé, soufflé, dévoré la ville en 1902. 30 000 morts, qui semblent si loin dans le temps, et néanmoins il n’est pas difficile d’être ému à leur pensée dès que l’on approche des ruines, ces murs de pierre si épais, pourtant détruits en l’espace de quelques secondes. Nous découvrons Saint-Pierre sous un soleil vif et franc, du genre de celui qui dévore chaque centimètre de peau libre. Le dimanche, la ville est déserte.

La distillerie Depaz

Il y a des clichés qu’il faut respecter : il est impensable de ne pas boire de rhum ni de visiter une distillerie en mettant les pieds en Martinique. Nous avions d’ailleurs l’intention d’en visiter le plus grand nombre possible ! La distillerie Depaz est une visite intéressante, sur un site offrant de merveilleux points de vue sur la baie de Saint-Pierre et sur la forêt tropicale lovant la commune. La visite de l’usine est couplée avec celle de l’ancienne maison des maîtres. Nous sommes les seuls visiteurs et prenons notre temps pour profiter de la fraîcheur de la demeure, climatisée naturellement grâce aux courants d’air créés par les persiennes. Des hérons garde-bœufs se baladent tranquillement sur les grandes pelouses du jardin pendant, que, méditatifs, nous songeons au temps des plantations. La distillerie Depaz ne présente que l’Histoire des lieux, les procédés de culture de la canne et de fabrication du rhum. Pour en savoir plus sur la vie sur l’Histoire de l’esclavage, ça ne sera pas l’endroit idéal.

Le cheminement est intéressant. Nous pouvons visiter l’usine sans encombres car nous ne sommes pas actuellement en période de production. Étourdie que je suis, j’avais oublié de m’asperger abondamment de spray anti-moustiques… C’est donc presque en courant que je finis la visite, après une averse qui aura réveillé les moustiques de leur sieste. Le magasin d’usine nous tend les bras pour une dégustation des rhums blancs de l’exploitation : c’est un véritable coup de cœur. C’est à ce moment précis que nous décidons que nous n’allons finalement pas respecter les quotas imposés par la douane française : impossible de ne ramener qu’une bouteille de ce divin nectar !


L’anse Couleuvre

Je peux être courageuse pour beaucoup de choses. Et pour beaucoup d’autres, pas du tout. Je peux me liquéfier rien qu’à penser à l’idée de conduire sur une route difficile. Aller à l’anse Couleuvre était marqué sur notre liste des choses à visiter ab-so-lu-ment. Les guides et les blogs sont unanimes : il s’agit là d’une des plus belles plages de l’île, et en tout cas de la plus sauvage. L’anse Couleuvre n’est qu’à quelques encablures du village du Prêcheur, et la route est très bonne jusqu’à l’anse Céron. C’est à partir de là que j’ai su que j’allais me liquéfier. Dès que nous quittons la baie de Saint-Pierre, protégée par les vents, nous voyons les énormes rouleaux qui moutonnent au large. Les pick-ups chargés de planches de surf ne trompent pas : aujourd’hui, la mer est grosse et nous ne sommes pas les seuls à vouloir profiter de l’océan. Ceci dit, il aurait fallu me payer plusieurs millions (que je refuserais, d’ailleurs) pour que je mette ne serait-ce qu’un orteil dans cette mer démontée. Je n’ai résolument pas le pied marin. Mais revenons à l’anse Couleuvre… Ou plutôt à la route pour s’y rendre. 1,7 km depuis l’anse Céron. Une route annoncée par les guides comme très difficile. Et elle était encore plus difficile que je ne l’aurais pensé. La route est couverte d’ornières et il faut également slalomer pour éviter les épaisses branches tombées au sol. Cette route est étroite, pentue et sinueuse. Je sue de partout… je suis prête à parier que j’ai dû suer jusqu’entre les orteils. C’étaient 15 minutes très, très longues. Et vous savez quoi ? J’ai survécu. Mon couple aussi. Comme me le dira Raymond, le vendeur de jus de fruits local, lorsque je lui ai relaté cette expérience : « Vous êtes sensibles, vous ! » avec un beau sourire. Oui, ça c’est sûr.

Le parking se dessine enfin, et même à 9 h du matin, il est déjà plein ! Nous prenons l’une des dernières places, heureusement, et enfilons nos chaussures de randonnée pour effectuer le petit kilomètre qui nous sépare de l’anse. Le chemin est boueux mais agréable, longeant l’ancienne habitation Céron, aujourd’hui une ruine perdue dans la forêt.
L’anse Couleuvre, approche, enfin… Elle n’était pas aussi belle que ce que je m’étais imaginé. J’avais peut-être de trop grandes attentes mais… les circonstances n’étaient pas en notre faveur. La mer était démontée, ne laissant que peu de place à la fine bande de sable noir. La falaise, d’ailleurs, s’est récemment effondrée et l’éboulement de terrain a précipité une partie de la forêt sur la plage, jonchée d’arbres déracinés. Nous ne pouvons même pas trouver un endroit au sec où nous asseoir… Nous nous contentons donc d’observer les surfeurs me paraissant si loin du rivage. L’anse Couleuvre semble être au bout du monde. Et rien que ça, c’était fantastique !

J’ai l’impression que Saint-Pierre, et le Nord, de manière générale, n’est pas reconnu à sa juste valeur par les touristes visitant la Martinique. Et même par les locaux. Dans l’avion atterrissant à Fort-de-France et venant de Paris, nous avions sympathisé avec un natif du Sud, venant de Sainte-Anne, précisément. Il était navré que nous consacrions autant de jours à visiter le Nord de l’île, alors que, résolument, le Sud valait bien plus le coup ! Il était adorable, bien sûr, mais je ne regrette pas une seule seconde d’être restée aussi longtemps à Saint-Pierre. Et je serais même restée un peu plus longtemps dans le Nord pour avoir le temps d’aller jusqu’à Grand-Rivière. Mais ce n’est pas grave, car nous savons déjà que nous allons retourner à la Martinique. Bye, Saint-Pierre, et à très bientôt.

Carnet d’adresses

  • À ne surtout pas manquer : la visite par le Cyparis Express : site & facebook
  • Le musée municipal Franck Perret relatant les événements de 1902 est à visiter si vous êtes féru d’Histoire. La salle du musée est minuscule, et la muséographie décousue est old school. La visite se révèle néanmoins émouvante. N’hésitez pas à solliciter le conservateur, il sera ravi de vous en dire plus.
  • Au marché couvert, nous avons passé un excellent moment au restaurant Le Guérin. Les gérants sont d’une grande sympathie et l’ambiance géniale géniale (on mange pendant que le marché bat son plein à l’étage inférieur). Avec vue sur l’océan… Le marché offre une profusion de fruits de toutes sortes, que je ne savais même pas reconnaître (et j’avais d’ailleurs un peu honte en demandant)… J’y ai mangé les meilleurs ananas et maracujas de ma vie.
    Pour boire un bon jus de fruits frais, c’est à Kaï Raymond qu’il faut aller frapper.
  • La distillerie Depaz est réellement un incontournable du coin.

Tous les articles En Martinique :

6 Comments

  • Reply
    Pauline
    22 janvier 2018 at 16:12

    Bon … à mesure de tes articles je sens que mon envie d’aller découvrir la Martinique à mon tour va monter crescendo ! Tes photos sont magnifiques, tout autant que tes mots, on sent bien le coup de cœur dans tes lignes et on a envie de le vivre à notre tour ! Merci pour cette belle immersion Pierrotine Isa !

    • Reply
      isa
      26 janvier 2018 at 12:59

      C’est sincèrement la plus belle chose que tu puisses me dire ! Ce n’est pas si facile de convaincre les gens (j’ai pas mal réussi dans mon entourage pour l’Utah, je vais m’engager à être ambassadrice de la Martinique, maintenant :-p

  • Reply
    Mitchka
    26 janvier 2018 at 16:38

    Un très bel article et que l’on sent très juste. On sent que cette escale à St Pierre t’a amené à te poser des questions, et que tu as su prendre le temps de comprendre l’histoire de la ville et son etat actuel. Et malgré ta grosse frayeur sur la route, je comprends que tu sois heureuse de ce séjour dans le nord….

  • Reply
    lili
    27 janvier 2018 at 07:58

    Je ne connais pas la Martinique ni son histoire. Et la visite de cette partie de l’ile ne s’arrête pas à des plages de sable et des cocotiers, je découvre une histoire riche ! Merci Isa ❤

  • Reply
    Monsieur Win
    9 février 2018 at 10:16

    Merci pour cette découverte. Un beau périple. Les Antilles Françaises ont été un temps un potentiel voyage (avant que la Norvege l’emporte !), mais ce n’est que partie remise je pense. Et merci pour avoir partagé ce nouveau périple routier, un nouvel épisode de ta longue histoire d’amour avec les routes sinueuses :D (tiens autre suggestion dans le genre : la vallée de la Restonica en Corse… il faut avoir le coeur bien accroché, et ne pas regarder en bas… mais l’arrivée le vaut largement !)

  • Reply
    Itinera Magica
    18 février 2018 at 07:51

    Passionnant, ce que tu racontes de cette visite, la partie politique et économique m’a passionnée – oui, on sent saint pierre abîmée, économiquement et socialement plus marquée que le reste de la Martinique, et cette analyse est passionnante.
    N’étant pas du tout branchée alcool, j’ai raté Depaz, et je regrette en vyant tes belles photos, ça avait l’air magnifique !
    J’avoue que la route vers l’Anse Couleuvre ne m’a pas traumatisée, j’ai été agréablement surprise car tu m’avais dit que ça allait être hardcore, je crois que je suis une fille des bleds escarpés, j’ai l’habitude de conduire en épingle au milieu de nulle part ^^
    Des bises !

Leave a Reply