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Ode aux aires d’autoroutes

9 juillet 2019

La plupart du temps, les voyageurs évoquent les aéroports comme pilier de l’évocation au départ. Pour moi, c’est sans doute les aires d’autoroutes.

Les aires d’autoroutes, c’est souvent très moche et surpeuplé. La foule compacte de gnous voyageurs s’y rue pour faire une pause bien méritée, après d’interminables heures de route, parfois à travers toute l’Europe.
Mon histoire à moi, c’est la traversée du Sud de la France puis de toute l’Espagne, durant quatorze bonnes heures, sans climatisation (je ne suis pas sûre qu’elle existait, à l’époque), assise sur la banquette arrière, entre mon frère et ma sœur. Nous étions serrés et suants. Ma mère avait trouvé un moyen infaillible pour nous faire taire au moins quelques heures : la distribution (au mérite !) de Pastilles Vichy et de Régliss’Mint (vous savez, les bonbons réglisse-menthe qui collent au palais). Le brumisateur d’eau minérale était l’objet le plus convoité de la voiture, de loin. Ce brumisateur, c’était un peu notre seul contact avec la fraîcheur perdue à dix heures du matin.

Se lever très tôt, avant l’aube, sans ouvrir la maison, et sauter dans la voiture pour quitter ma campagne encore endormie. Premier arrêt, tout le monde descend : l’aire de Montélimar, qui reste aujourd’hui encore la porte d’entrée du Sud. D’ailleurs, à Montélimar, il faisait déjà toujours très chaud. En sortant de la voiture pour courir saliver dans les rayons de la boutique d’autoroute remplie de barres de nougats, j’entendais systématiquement les cigales. Sans hésiter : c’est le Sud ! Cette aire d’autoroute m’a toujours paru immense et surpeuplée. C’était d’ailleurs très rare que nous nous arrêtions sur une aire toute équipée… Ces dernières années, j’ai recherché ces toutes petites aires, avec juste une table pour pique-niquer et des toilettes moches en béton. Elles sont de plus en plus rares, il me semble. Par la suite, les aires d’autoroute sont devenues immenses : station service, supermarché, activités, nombreux fast food, voire des stands de glaces et de bonbons. C’est toujours surprenant d’arriver dans ce genre d’endroits surpeuplés en quittant la tranquillité et l’individualisme de sa voiture. Ce que j’aimais, c’était surtout avoir la paix et n’entendre que le ronron des camions, le temps de manger ma tomate et mon oeuf dur.

Gamine, j’étais toujours étonnée de voir autant d’auto-stoppeurs sur les aires d’autoroute (est-ce encore permis ? est-ce que ça l’a déjà été ?). Je n’imaginais pas que l’on puisse voyager comme ça. J’étais aussi extrêmement curieuse de la vie des routiers, que je voyais se reposer en regardant leurs mini-télés, les pieds dépassant du camion. Comment peut-on vivre sur la route toute l’année ? Comment peut-on n’avoir qu’une maison roulante ? Que de questions auxquelles je ne réponds toujours pas vraiment. Pour moi, la route, c’était juste transitoire.

La frontière espagnole arrivait enfin. Il fallait pique-niquer juste avant : les toilettes étaient à l’époque plus propres en France, c’était de notoriété publique. Nous évitions le plus possible les aires d’autoroute espagnoles ! Je n’en ai même aucun souvenir.
À l’époque, il y avait encore une véritable frontière entre la France et l’Espagne. On se faisait arrêter et contrôler nos papiers ; il fallait d’ailleurs prendre son mal en patience. Les frontières sont toujours des microcosmes étranges, plein de tension, d’appréhension, et d’impatience, aussi. La tension de l’attente, l’appréhension du contrôle, l’impatience d’arriver. C’était aussi le moment salvateur, pour moi, parce qu’on ne pouvait plus capter Radio Trafic, cette chaîne que j’ai haï pendant toute mon enfance, tant j’en détestais les morceaux musicaux et les coupures d’info incessantes. Je me suis surprise, récemment, à lui trouver une utilité…
Passée la Catalogne, la chaleur s’abattait toujours. Plusieurs heures plus tard, Benidorm me frappait toujours, avec ses énormes tours visibles depuis l’autoroute. Le désert prenait de plus en plus de place le long de l’autoroute. On était presque arrivés. Les dernières heures étaient toujours les plus difficiles, nous trépignons d’impatience sur la banquette arrière, il n’y avait plus grand chose qui pouvait détourner notre attention (même les pastilles Vichy) ! Mes parents commençaient à avoir les traits tirés par cette longue journée de route.
Et enfin, la promesse de l’arrivée, c’était les marais-salants d’un rose vibrant sous le soleil qui commençait à décliner, dans la laguna salada de Torrevieja. Dernier tournant et derniers mètres en voiture, enfin arrivés à la maison, mon grand-père nous attendant sur sa chaise pliante près du trottoir.

Cette ode aux aires d’autoroute s’est transformée en ode à la route ! Sans être nostalgique à tout prix, je suis heureuse d’avoir connu ces longs moments d’ennui, terreau de l’observation et de l’anticipation. C’était le slow travel avant l’heure…

Photo issue de Shutterstock, je n’ai hélas pas accès aux albums familiaux. ;-)

2 Comments

  • Reply
    Juliette Giannesini
    10 juillet 2019 at 01:49

    Je n’ai malheureusement pas de souvenirs des aires d’autoroute en France, car qui dit « aire d’autoroute », dit « autoroute ». Et on n’allais pas vraiment loin avec mes parents, mais quand on prenait la voiture, fallait mieux éviter les autoroutes car péage et possibilité de contrôle, puis bon, la plupart des voitures qu’on a eues n’auraient pas vraiment passé le contrôle technique, tout ça :lol:

    Ceci dit, ça sent bon les reportages style Capital M6 les Français sur la route, ces aires d’autoroute.

    Crois-tu que ces voyages avec tes parents t’ont donné le goût du voyage, justement? Je me demande toujours où ça s’attrape, venant d’une famille de pas voyageurs…

  • Reply
    Perrine Braz
    16 juillet 2019 at 08:03

    J’adore ! merci de m’avoir refait tomber en enfance. Pour moi, j’ai des souvenirs pour les sports d’hiver. L’autoroute du sud, pareil, les aires d’autoroute en Bourgogne, le tunnel de Fourvière à Lyon et son légendaire bouchon. D’autres années, nous passions par l’est pour rejoindre la Suisse. Le poste frontière à Bâle, le change de monnaie. Pour le coup, nous attendions les aires suisse, d’une propreté irréprochable !

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